•  A Lyon, je prenais souvent le thé chez une amie que j'appellerai Miette car elle était petite et toute menue, qui habitait les vieux quartiers de la Croix-Rousse, non loin du cinéma d'Art et d'essai, une ruelle étroite dont on ne savait si elle était vouée à être détruite ou restaurée . Son appartement vétuste mais spacieux qui lui avait été prêté par une vieille cousine de ses parents, pour toute la durée de ses études, était composé d'une très grande chambre, pièce à vivre, manger, étudier, dormir, lire, aimer et recevoir et une autre plus petite qui eût été une cuisine classique et commode à évier carré et longue paillasse si elle n'avait possédé cette curiosité que je n'ai vue que là, une magnifique et gigantesque baignoire sur pattes de lion et robinet en bronze, en plein centre de la pièce.


    Miette expliquait aux visiteurs que les ouvriers avaient été empêchés à l'époque de l'installer dans un angle comme il avait été prévu à cause d'une pénurie de tuyaux de cuivre, c'est ainsi que toute la tuyauterie d'arrivée comme celle de la vidange traversait le milieu de la cuisine au lieu de longer les murs. Bien sûr, on avait pensé alors à un arrangement temporaire mais par la suite aucun des propriétaires successifs n'avait fait les travaux nécessaires sinon changer de chauffe-eau quand l'ancien devenait obsolète et la baignoire était restée là au milieu de la cuisine, l'encombrant de telle façon qu'il était impossible d'y dresser une table et qu'il fallait la contourner aussi bien pour aller jusqu'à l'évier que rejoindre un placard ou le buffet.



    Pourtant mon amie préférait recevoir plutôt qu'être reçue. D'ailleurs, sauf pour se rendre à ses cours ou à une séance de ciné ou encore à un concert, elle sortait fort peu de chez elle, son attention entièrement captivée par une quête toute personnelle, l'établissement de protocoles particuliers.



    Son idée était qu'il n'y avait pour chaque personne qu'une seule manière d'agir dans sa vie,  une manière parfaite qui, si elle était atteinte permettait à celui qui s'y soumettrait, d'accéder au paradis sur terre.



    Parce qu'il fallait bien commencer par un bout, elle recherchait donc le geste juste pour chacun des menus faits quotidiens. Une fois trouvé, le geste juste pouvait être répété comme un rituel afin d'engendrer des actes justes plus complexes.


    Dans son appartement, certains itinéraires avaient été dressés, qu'elle suivait pas à pas, invitant le visiteur à rechercher son propre chemin de la porte au canapé. Chaque emplacement de chacune des pièces du mobilier jusqu'à ses plus humbles accessoires avait fait l'objet d'une réflexion, qui prenait en compte des facteurs variés et des principes mathématiques et physiques, disait-elle, car c'était une scientifique.



    Le thé était servi suivant tout un rituel qui n'avait rien à envier aux Japonais. Chacun des gestes étant codifié, depuis le dosage des ingrédients, les ustensiles utilisés, la manière de les manipuler, les couleurs, le temps mis, tout avait été calculé de manière si précise que je me trouvai là devant une mise en scène théâtrale, voire religieuse bien qu'à aucun moment un dieu quelconque ne fut nommé, à laquelle je participais comme spectatrice mais aussi comme actrice lorsque enfin, je devais boire mon thé et croquer mes biscuits. Alors, je voyais devant moi tout l'éventail des choix qui me permettraient d'avaler mon infusion, la manière de tenir ma tasse, une main, deux mains ? la tasse seule, ou la tasse et la soucoupe ? quels doigts utiliser ? quels points d'équilibre choisir de mon anse, du fond ou du flanc de ma tasse pour une meilleure sustentation...


    Je sortais de là comme quand j'étais gosse et que je sortais de la messe :


    Une fois, tourné l'angle de la ruelle, je me mettais à courir...






     


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    Cette belle-mère dont je parle, était la mère de mon mari. Une chtimmie authentique qui s'était installée dans le sud de la France avec son époux, une fois qu'il eût pris sa retraite. Elle avait des taches de rousseur sur les bras, des mains fines et racées qui coururent sur les touches de son piano jusqu'à la fin, et avait mal aux genoux.


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