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    C'est en Ile de France que je découvris la riche odeur de l'humus.




    Je n'avais pas pénétré une forêt algérienne depuis l'âge de 7 ans, moment où la guerre avait vraiment commencé. Et je ne me souvenais pas d'une telle expérience olfactive.




    Elle ne me fut pas offerte immédiatement à mon arrivée en France. Mais progressivement, suggérée, d'abord par les tapis de feuilles mortes qui s'accumulèrent sur les trottoirs parisiens dès mon premier automne, formant au large des platanes et des tilleuls, des monticules précaires qui se défaisaient au moindre coup de vent. Dunes parisiennes craquelantes sous le pied qui les dispersait à peine s'étaient-elles amoncelées.




    Bien sûr, je m'étais promenée avec mes parents dans les différents parcs et squares de la capitale et de ses faubourgs, du bois de Boulogne au bois de Vincennes, en passant par les Tuileries. Puis, quelques mois après, dès qu'ils eurent de nouveau disposés d'une voiture, j'avais pu goûter une première fois à la douceur du printemps dans le parc des vaux de Cernay, la chênaie de Rambouillet, la forêt de Fontainebleau, si riche d'espèces de toutes sortes, forêts dites de haute futaie, composée de différentes strates qui font que le regard se porte vers les cîmes pour venir se reposer au sol où percent les premières fleurs.




    Il me semblait n'avoir jamais rien vu de si beau, de si enveloppant. Nid urbain ou végétal, la région parisienne se présentait ainsi pour moi.




    Et ce fut à l'automne suivant, peu après la rentrée des classes, alors que nous avions emménagé à plus de vingt km de Paris, et que je m'enfonçai, seule cette fois, dans un bois qui dévorait une colline du Hurepoix, que je fus prise par ce parfum de terre grouillante, de pourriture et de résurrection que dégageait l'épaisseur brune masquée de feuilles mortes et de débris végétaux encore frais dans laquelle mes pieds s'enfonçaient comme en un bain primordial tandis que reprenant un chemin ancien, grillagé de fins rameaux, je me frayais un passage qui ne débouchait que sur lui-même, à l'infini.







     




     


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  • Nous passons beaucoup de temps au lit.




    L'odeur des draps fraichement lavés et repassés et leur contact si doux sur une peau d'enfant.



    Des draps étrangers d'un espace étranger lourds et glacés, raides de propreté ou de crasse



    Des draps entortillés, mous et moites plein de fièvres, d'excrétions, de maladie et d'amour



    Des draps où l'on s'oublie puis où l'on se retrouve



    Toutes les fragrances de la passion comme du désespoir sont dans le lit comme tous les apaisements




    Je bouge beaucoup la nuit en dormant ou pas du tout mais dors toujours sur le flanc, gauche ou droit, la plupart du temps j'alterne sans cesse et passe parfois par la pose du cadavre, toute droite, bien étendue à plat



    J'ai souvent mal dormi



    J'avais la réputation d'être insomniaque depuis qu'une voisine s'était aperçue que je passais une partie de la nuit sur le balcon.



    Je me réveillais vers trois heures du matin sans parvenir à me rendormir, alors j'allais contempler les étoiles pendant des heures puis revenais me coucher juste avant que ma mère ne m'appelle.



    Mes parents me voulaient tôt couchée, 20h, 20h30 puis 21h car je me levais à 6 h du matin pour partir à 7h15 à l'école qui était assez loin et où je me rendais à pied, d'abord accompagnée par ma mère puis par des camarades plus âgées



    Le soir, je me revois en train de resquiller et de lire au lit en cachette, assez dangereusement en allumant de petites bougies que je chipais chez ma grand-mère



    Parfois, quand j'en manquais, je prenai la lampe de poche que j'avais sur ma table de chevet au cas où ; mais là, il y avait rapidement le problème de la pile à changer que je devais acheter avec les rouleaux de petite monnaie offerts par une grand-tante ce qui n'empêchait pas que cet achat demandait de la ruse. Heureusement, il y eut aussi un peu plus tard une lampe de bureau à pince que je pus rapidement utiliser à cet effet après m'être débrouillée pour me procurer une rallonge.



    La manière la plus épique d'éclairer mes lectures du soir, fut, bien entendu, cette bougie que le large diamètre et la faible hauteur rendait très stable, peu odoriférante par ailleurs, et dont la combustion était très lente, probablement des bougies d'église dont on se sert pour veiller les morts ; ma grand-mère en avait plein un sac de jute, au fond d'un placard et je craignais à tout instant qu'elle ne s'aperçoive que sa réserve s'épuisait mais il semble qu'elle ne les utilisait pas car elle ne m'en a jamais parlé.



    Je posais la bougie sur une soucoupe de tasse à café marron que ma tante avait consenti à me donner pour une "expérience" avais-je prétendu, ce qui l'avait amusée.



    Seules, les allumettes me posaient problème puisque je n'y avais pas accès.



    A la maison, régnait l'usage du briquet; un allume-gaz était utilisé pour la cuisinière.



    Après déjeuner et après dîner mes parents fumaient une cigarette, mon père allumant galamment celle de sa compagne à l'aide du briquet offert au dernier anniversaire, comme ils étaient toujours beaux et résistants, il en avait toute une collection serrée dans son armoire.



    En son absence, ma mère allumait sa cigarette au briquet de salon en forme de vieux tacot.



    Il n'y avait donc dans la maison qu'une seule grosse boîte d'allumettes qui était sur une étagère dans le placard-atelier de mon père, là où il bricolait. Estimant qu'il gardait là des produits et des outils dangereux, il le fermait à clef à mon intention. La clef étant elle-même dans le tiroir d'un chiffonnier qui était dans leur chambre, lieu tabou où je n'étais pas sensée entrer et qui d'ailleurs était souvent tenu verrouillé.



    Obtenir des allumettes dans ces conditions était une aventure pleine de péripéties qui me poussait à chercher leur présence et le moyen d'en subtiliser chaque fois que je me rendais quelque part car les acheter me paraissait impensable. Pendant longtemps, je crus que c'était interdit aux enfants. C'est ainsi que  je rôdais partout où j'étais susceptible d'en trouver. Et que je me proposais systématiquement à servir et desservir quand nous dînions chez des parents ou amis afin de pouvoir en chaparder dans les cuisines.



    Je disposais par contre de nombreux grattoirs, ma tante me donnant des boîtes vides dont je disais qu'elles me servaient à trier de petits sujets que j'avais, ce qui était vrai, c'est ainsi que je m'étais fait toute une armoire de boîte d'allumettes collées les unes aux autres sur une base et un fond de contreplaqué découpés par mon père qui encourageait mes bricolages.



    Le soir, je posais mon "épicerie"ainsi nommée par ma mère, près de mon lit pendant les 10 minutes auxquelles j'avais droit pour jouer au lit et lire. Puis c'était l'extinction des feux, ma mère venait me border, m'embrasser et repartait en fermant la porte derrière elle. Elle ne revenait jamais sauf quand j'étais malade ou encore que je l'appelais très fort. La chambre de mes parents était à l'autre bout du couloir, séparée de la mienne par le salon-salle à manger. Je pouvais donc commencer à m'installer à condition d'être discrète, de ne pas faire de bruit et qu'il n'y ait pas de lumière qui filtre sous la porte. J'allais donc entrouvrir ma fenêtre et mes volets pour y voir un peu et ôter de leur cachette, soucoupe, bougie et allumettes et  j'allumais rapidement ma veilleuse, refermai la fenêtre pour filer au lit. Là il me fallait caler mon bougeoir improvisé entre mes jambes pliées en tailleur et rabattre par dessus-moi drap et couverture, ma tête servant de mât central, je pouvais lire jusqu'à ce que la position devienne fatiguante. S'il m'est arrivé plusieurs fois de me brûler un peu les doigts car je recouvrais la flamme de ma main dès que je la voyais dangereusement haute, je n'ai par contre jamais sali ni brûlé la literie.







     


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