• le test de l'île déserte

     




    Qu'emmèneriez avec vous pour séjourner en un lieu retiré ?
    ou encore, que voudriez-vous trouver parmi les épaves rejetées sur la plage si vous étiez naufragé, ce qui revient à peu près au même




    Ce test Robinson Crusoë, se décline d'abord selon d'invraisemblables suppositions...
    l
    et pourtant...
     Le moindre déménagement de quelque importance, peut vous contraindre à sacrifier une partie de vos biens.
    Et oour le cortège des déplacés et migrants de toute origine, le thème est d'une banalité effarante.
    En cas de catastrophe, quand il faut se résigner à fuir une maison qui s'inonde,  un territoire bouleversé du fait de la nature ou des hommes, il faut choisir, et vite, l'obligatoire, le nécessaire qui, à la dernière minute, sur le moindre coup de tête sont sacrifiés au superflu indispensable à l'âme.


    Lorsque nous fûmes rapatriés d'Algérie, en août 61 par décision de l'Education nationale pour laquelle mon père travaillait depuis quelques années, nous n'eûmes droit qu'à deux valises de vingt kilogs et un bagage à main léger, chacun. Mes parents avaient prêté leurs valises quelques mois auparavant à des amis qui étaient déjà partis et ne les leur avaient pas renvoyées et ce fut toute une affaire pour en trouver d'autres. Le nombre excessif de départs simultanés avait entraîné pénurie de bagages.  Il fallut plusieurs jours de recherche avant que mon père ne trouvât deux valises, pas très grandes et de fabrication bon marché, en tissu écossais léger fermé par glissière, qu'il payât évidemment très cher.
    Nous disposâmes ensuite d'une semaine environ, pour les remplir ce qui provoqua maints questionnements et réflexions diverses sur le choix de ce qui serait emporté. Il fut d'abord décidé de ce que l'on mettrait ailleurs que dans ces valises, ainsi les papiers d'identité et administratifs de la famille et autres documents auxquels il tenait, seraient dans la serviette de mon père, qui avait tout du gros cartable. Ma mère prendrait un cabas un peu chic mais vaste, qu'elle prenait pour aller à la plage et y mettrait  le nécessaire pour ma soeur qui venait juste d'avoir un an, donc biberon, céréales en paillettes et petit pots, deux, trois vêtements de change si salissures soudaines. A ce propos, la question des couches fut anecdotique. Ma soeur était propre mais s'oubliait encore parfois, quoique rarement, et ma mère estima que le voyage et ses suites la perturberaient et qu'il serait nécessaire de nouveau de lui faire porter des couches. Il n'était pas question, bien sûr d'emmener le linge traditionnel auquel elle l'avait habituée, couches culottes et couches en coton blanc + culotte en plastique doublé, puisque les lessives seraient probablement impossibles pour un moment. Ma mère acheta donc pour la première fois de sa vie, un paquet de couches à jeter, qu'elle choisit énorme, afin de ne pas être prise au dépourvu. Par précaution, elle voulut en faire porter immédiatement à ma soeur, qui, non habituée à leur contact, n'en voulut pas et se mit à brailler tant et si bien qu'on la lui retira et qu'on lui remit jau final sa culotte petit bateau.
    Par esprit de contradiction, Petite soeur, ne fit plus jamais pipi ni caca sur elle et le paquet de couches que l'on trimballa  -au cas où-  pendant des jours et des semaines, fut tout à fait inutile





    Mais je poursuis ma petite histoire, ma mère étant ainsi fort encombrée, ce fut moi qui fut chargée des en-cas, sandwiches divers, thermos et biscuits, lesquels ne furent pas mangés pendant le voyage lui-même mais finalement partagés avec d'autres rapatriés en attente avec nous pendant une journée entière, à notre arrivée à Marignane.




    Restaient les valises à combler, nous y mîmes d'abord du linge de corps, en retirâmes ensuite quand nous vîmes qu'il n'y avait plus de place pour le reste. Ajoutâmes des fringues de tous les jours, les retirâmes pour y mettre les fringues dites "de ville", plus habillées. J'avais une véritable canadienne grand luxe, du Canada, jamais mise car d'abord trop grande, et puis de toute façon trop chaude mais qui, cette année là, m'allait enfin, et qui, à Paris m'eût été utile mais je dus la laisser car elle prenait le volume de toute une valise. Il en fut de même du manteau le plus chaud de ma mère ainsi que du pardessus de mon père. Voyant ma mère glisser des escarpins (ma mère en raffolaient autant que des gants et en avaient une petite collec) dans sa valise puis les reprendre, les échanger, les remettre, j'avais renoncé à une seconde paire de chaussures, celles que je portais sur moi suffiraient. Au bout d'un moment, mon père fit pareil, d'autant plus que les siennes étaient lourdes. Par compensation, au moment de partir, il chaussa de grosses bottes de cuir parce qu'elles étaient les plus coûteuses et qu'il ne voulait pas les perdre. C'est ainsi qu'il fut dans l'inconfort pour un bout de temps.
    Devant ma soeur, on étala tous ses jouets pour lui faire choisir ce qu'elle prendrait, et l'on répéta l'opération à plusieurs reprises et plusieurs jours consécutifs mais elle s'obstina à mettre dans la valise, un vieux hochet composé d'un anneau avec au centre une sphère à moitié remplie d'eau sur laquelle voguait un cygne, avec lequel elle ne jouait plus depuis longtemps. S'en suivit une discussion bête entre les parents et moi. Mes parents jugeant qu'elle jetait le cygne dans la valise parce qu'elle voulait s'en débarrasser et qu'il ne fallait pas suivre, moi, disant le contraire parce que j'avais de l'affection pour ce jouet. A la fin, dans l'incertitude, on se rangea à mon opinion. Ma soeur déçut encore ma mère au dernier moment, refusant d'emporter son gros ours (comme charlie brown, plus tard, son fétiche à suçoter et à emmener partout, était un carré de coton blanc, une couche en fait) pour s'entêter à empoigner un bambi de caouchouc couineur avec lequel elle cassa les oreilles de tous les passagers de l'avion.




    A moi aussi, mes parents me demandèrent de choisir ce que je voulais garder parmi mes possessions. Les jeux auxquels je tenais le plus étaient mes constructions de chalets suisses mais c'était impossible de les prendre. Comme je lisais beaucoup, ils croyaient que je choisirais un livre mais je ne parvins pas à en sélectionner un parmi tous et finis par me dire qu'il y avait partout des bibliothèques et des librairies. Je faillis prendre ma poupée caoucchouc et puis je me dis que ce n'était plus de mon âge, que je n'en ferais rien, ma malette à couture qui était fort jolie et que souvent j'ouvrais, juste pour regarder le contenu mais je n'aimais pas coudre et le choix me paraissait d'autant moins judicieux que la boîte était volumineuse. Ma petite voiture mécanique que j'avais adorée car elle virait au moindre obstacle et aussi quand elle approchait le vide, et avec laquelle je m'étais longtemps amusée, était cassée depuis des années et même si je l'avais gardée dans un tiroir, je trouvai ridicule et de mauvais goût de transporter une chose cassée.




    Il me fallait prendre quelque chose de petit alors mon Gilles de Binche me tenta, avec son visage au sourire figé, son chapeau de plumes d'autruche et ses grelots mais il y avait toujours eu quelque chose en lui qui me mettait mal à l'aise: j'hésitais à emporter aussi l'un de mes petits tableaux bretons en bois sculpté, puis peint, qui représentaient pour l'un un groupe de joueurs de cornemuse et pour l'autre des jeunes filles coiffées à la mode de Quimper et qui dansaient mais je les avais tant observés qu'il me semblait les connaître par coeur.




    Me surprenant moi-même, je jetai finalement mon dévolu sur un petit âne violet en céramique qui me semblait avoir toujours été sur l'une de mes étagères et que je ne regardai jamais. Sans doute, par pitié ultime car il était de tous, le mal aimé; il me rappelait le Cadichon de la Comtesse, l'humilité du Pauvre Martin de Brassens, le merveilleux conte de Peau d'âne et puis le lait d'ânesse des belles des mille et une nuits.





    Quant à mes parents, en dernière minutes, ils ôtèrent quelques uns de leurs vêtements pour y fourrer leurs disques préférés, Gershwin pour ma mère, Hooker and blues pour mon père, Vian pour les deux


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