• voisins

    C'était un immeuble comportant trois étages d'appartements, paliers au garde-fou en fer forgé, desservis par un escalier très raide qui se poursuivait encore plus vertical jusqu'à la porte donnant sur la terrasse. L'entrée du rez-de-chaussée était étroite, toute la surface bouffée par un grand garage qui servait de dépôt au restaurant de ma grand-tante. Avec son époux, elle accumulait là des boîtes de conserve énormes qui s'empilaient en pyramides instables, nombre jambons et saucissons pendaient à des crocs de boucher dont l'ombre sur les murs gris, m'effrayait quand il m'arrivait d'accompagner l'un ou l'autre dans cet antre protégé par de multiples serrures et verrous aux clés tintantes.


    Sous la cage d'escalier, il y avait un réduit triangulaire où l'on pouvait pénétrer par une porte dont on croyait qu'elle était un mur. Y étaient installés depuis fort longtemps, une couchette étroite et un petit placard.


    Seule ma grand-tante disposait de la clef et il fallait s'adresser à elle pour cet hébergement qui restait secret et qui devait être de brève durée, jamais plus de 3 jours bien que ma mère et moi connûmes un cas qui dura des mois et qui nécessita notre complicité pour le ravitaillement et l'évacuation des féces et urines. Le service rendu était rare et gratuit par une espèce de superstition qui faisait que de l'argent gagné ainsi ne pouvait porter chance.


     


    Au premier étage, vivaient deux familles arabes, enfin, pas tout à fait, puisque l'un des couples était mixte, le mari originaire du centre France paraissait avoir perdu toute identité, par la misère, la maladie (il souffrait des séquelles de divers maux du sud, malaria, amibes, etc) qui l'avait rendu quasi-grabataire. Ma mère disait qu'il percevait une petite pension de l'armée, pas grand-chose. Lui était gris et sans âge, sa femme mauresque, paraissant bien plus jeune, était vive et belle. Elle sortait régulièrement des après midis entières et j'entendis parfois chuchoter qu'elle se prostituait et achetait avec l'argent qu'elle gagnait, les bijoux en or qu'elle portait toujours sur elle afin de ne pas être volée. C'était là chacun le devinait, une promesse d'avenir meilleur. En attendant, son logement était, de loin, le plus misérable de tout l'immeuble. Il était tout à fait nu, avec des meubles rares et tristes. Aucune étoffe ne venait l'orner. Aucun bibelot ou même pièce de vaisselle sinon le strict nécessaire et le plus laid, des assiettes de ce verre qui ne paraît jamais propre et des couverts de mauvais métal qui perdait sa couleur. Des moisissures rongeaient les murs par plaques et s'épaississaient en masques difformes et noirâtres dans les angles. Les voisins disaient que chez eux, même les cafards et les charançons ne venaient pas, de peur de mourir de faim. Des enfants affamés vivaient là, enfermés, réchappés des diarrhées et autres malheurs qui avaient tué en bas âge certains de leurs sœurs et frères que l'on avait vu disparaître à peine sortis du ventre de leur mère.


    Pour cette raison, l'on m'envoyait, moi, encaisser leur loyer, juste le jour où la pension tombait, ma mère ne voulant plus être confrontée à la maigreur des gosses en sachant qu'elle ne pouvait rien faire vraiment.


    Pourtant de multiples efforts furent faits. Les familles arabes leur apportaient régulièrement des crêpes au miel et de la chorbah. Les deux françaises, du bouillon de poule, des tartes et des gâteaux qu'elles faisaient, et aussi, elles surveillaient Z lors des naissances car on la soupçonnait de faire mourir ses enfants. Elles lui parlaient de soins à donner au bébé mais aussi de contraception, lui expliquaient diverses méthodes dont surtout la méthode Ogino. Mais Z les envoyait promener avec un grand rire. Rien de son environnement ne paraissait avoir d'influence sur elle. Elle avait la chair fruitée, les dents blanches, la poitrine généreuse, les hanches pleines et la bouche gourmande, et se fichait tout à fait de tout ce que les gens pouvaient penser, de tout ce que ses enfants pouvaient endurer. Sans vraie méchanceté, elle croyait au destin, à la chance et à la ruse, s'en sortiraient les forts s'ils savaient s'y prendre, pour les faibles, c'était tant pis, si de plus, ils n'étaient pas malins. On parla d'eux à un responsable de l'hôpital pour enfants, aux médecins des diverses familles, aux religieuses. Un enquêteur vint une fois à leur domicile. Il dit avoir trouvé les enfants un peu fluets mais polis et c'est vrai qu'ils l'étaient, et qu'à voir les bijoux que portait la mère, la famille n'était pas pauvre.


     L'affaire fut close.


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