• Versailles-1

      Le web a servi ma cause en me permettant de renouer avec une amie surgie de l'adolescence passée. Elle me renvoie à la case Versailles.



    Les jardins de Versailles, les allées rectilignes, les perspectives qui se déplient au fur et à mesure que l'on s'avance, la nudité des statues sous la pluie.



    Combien d'heures passées là à errer jusqu'à n'en plus puis et à m'asseoir sur un banc humide à méditer les cours que je séchais, le pourquoi du comment au parce que indéfini dont on peut juste dire que je faisais ainsi car je ne parvenais pas à faire autrement



    Il y eut des rencontres et toutes étaient étranges puisqu'elles n'auraient pas eu lieu si j'avais suivi le droit chemin qui mène à l'école.



    Un jour que j'écrivais des vers, tout en marchant, un homme, la quarantaine, m'aborda, les lut, me dit qu'ils étaient beaux mais que je n'avais aucun mérite car la jeunesse était en elle-même poésie et qu'il me suffisait d'écouter ce murmure en moi et de le retranscrire



    Il ajouta que le vrai poète était l'homme ou la femme mature qui poursuivait son oeuvre, bien après que les élans de la puberté se soient enfuis et qui parvenait à maintenir ouvert le robinet de l'inspiration malgré tous les aléas et les servitudes du quotidien qui faisaient tout pour le refermer.



    Et c'est vrai que quand on le regardait, lui et son air buté et renfrogné et que l'on écoutait sa parole râpeuse à force de se dévider qui passait du timbre grave de la virilité à l'aigu de la frustration j'étais tentée de voir en lui davantage un plombier qu'un poète, ce qui n'était pas plus mal et tout au moins utile. 



    Il me récita alors ses vers qui, il faut le dire, étaient très bien ourlés. Puis, décidant qu'il avait là, trouvé une oreille complaisante, il tira de sa poche un épais carnet de cuir tout froissé, où s'empilaient d'innombrables pages fines noircies d'une écriture miniature qui ne voulait laisser aucun blanc nulle part et se pressait dans tous les sens et se mit à lire, lire sans fin, au point qu'à un moment, nous sortîmes du parc sans vraiment y prêter attention, nous restaurâmes à un bistro puis repartîmes par les jardins, sans qu'il y ait de vraie interruption au flot qui se déversait.



    Parmi les poèmes, il me lut aussi quelques articles littéraires et artistiques et expliqua qu'il était journaliste, pour reprendre tout aussitôt le fil de ses alexandrins, octosyllabes, quatrains, sonnets, chants et ballades.



    Et puis au détour d'une rime, je retrouvai brutalement une chanson de Nougaro, prenant conscience d'ailleurs, que beaucoup de ses vers lui ressemblaient. Je le lui dis. Au bord des larmes, il me remercia alors de l'avoir reconnu et dit qu'il était le nègre de Nougaro et il se mit à gémir de l'injustice qui lui était faite, à lui qui écrivait des paroles qui rendaient un ignorant célèbre, un ingrat qui voulait qu'il reste dans l'ombre.



    Et ses lamentations se poursuivirent jusqu'à ce qu'il me raccompagne à mon arrêt de car puisqu'il était l'heure où j'étais sensée avoir fini les cours.



    Je ne l'ai jamais rencontré de nouveau


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