• C'est grâce à sa combativité que ma Grand-mère obtint le divorce aux torts réciproques.



    Pour avoir été soldat sur le front, blessé de guerre, mon grand-père était estimé. d'autant plus que c'était un homme sobre qui n'avait rien d'un désoeuvré puis qu'il peignait du matin au soir.


    Le juge finit cependant par accepter de considérer qu'il était difficile pour une femme de vivre avec un tel homme, et de devoir, seule, assumer toutes les responsablilités familiales.



    Mon père me décrivit plusieurs fois sa manière d'être qui étonnait les gens autour de lui.


    Levé à l'aube ainsi que son épouse qui se mettait immédiatement à sa couture après avoir bu un café. Il faisait d'abord un tour dans Paris pour revenir vers 8h du matin avec des ficelles (pain en baguette très mince), une bouteille de lait, parfois du café (ses seules contributions aux dépenses du ménage) et deux fois par semaine, ses provisions personnelles, soit quelques camemberts, des oignons et un litre de vin.



    Il se mettait alors à faire esquisses et peintures jusqu'à 10/11h, heure où il mangeait du pain, du camembert, des oignons qui étaient sa seule nourriture, puis il reprenait jusqu'à 18h où il faisait un autre de ses repas pour sortir ensuite faire une nouvelle balade dont il revenait vers 20h avec, parfois, du matériel de peintre et des livres de chez les bouquinistes, puis il lisait, parlait à sa femme et à ses enfants et allait se coucher.



    Dans la journée, il buvait du café (c'était toujours lui qui le faisait pur tous) et du vin largement mouillé. Chaque matin il mettait un peu de vin dans deux bouteilles qu'il finissait de remplir avec de l'eau et qui constituait sa boisson quotidienne.



    De temps à autre, il partait la journée sur un chantier de restauration et cela durait quelque temps. Il arriva aussi qu'il apportât à la maison quelque ouvrage mais c'était rare et non apprécié.



    Le dimanche était une journée différente où ma grand-mère ne travaillait pas. Ce midi-là, seulement, son époux partageait le repas familial. L'après-midi, ils se promenaient tous ensemble, parfois visitaient un musée ou autre.



    Mon père doit au sien quelques uns de ses plus beaux souvenirs d'enfance et particulièrement le seul jouet qu'il ait eu. Il l'estima, une fois devenu adulte, avoir été l'un de ces chefs-d'oeuvre d'artisan comme on en voyait à l'époque.



    Je ne sais combien de fois il m'en fit la description. Mais sans photo ni rien de tangible, je n'en ai pas retenu grand-chose sinon que c'était un théâtre miniature (assez grand tout de même) qui avait été copié à partir d'un vrai et qui possédait sa salle des machines permettant de manoeuvrer, rideaux, décors etc. Son père avait créé toute une série de décors correspondant à des pièces classiques et avait commencé à fabriquer plusieurs marionnettes à fils qui elles aussi étaient appelées à être manoeuvrées par des automatismes.



    Il paraît que tout le monde se déplaçait pour voir ce jouet, ce qui me fut aussi confirmé par ma grand-mère qui en avait conçu de l'hostilité allant jusqu'à la haine, de constater une fois de plus qu'il ne tirait aucun argent de son habileté.






    Elle vendit ce théâtre à des Allemands pendant la seconde guerre mondiale afin de se procurer de la nourriture pour elle et ses filles.


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  • Mon grand-père, horloger, fit la guerre de 14. Il y fut blessé, gazé. Laissé pour mort sur le champ de bataille, il fut ramassé par l'ennemi, soigné, pour être ensuite roué de coups, raconta-t-il à mon père. Je ne sais combien de temps, il resta prisonnier. Quand, après l'armistice, il rentra à Paris, il avait quelque doute sur les raisons de poursuivre sa vie et, ne reprit pas son métier, considérant que le mieux était qu'il se consacre à sa passion, la peinture.




    C'est dans ces circonstances que ma grand-mère le rencontra et qu'ils tombèrent amoureux l'un de l'autre. Plus de quinze ans plus tard, après s'être aperçu que leur troisième enfant ressemblait à un autre homme du quartier, mon grand-père demanda le divorce pour adultère. Mais le procès dura plusieurs années car ma grand-mère se défendit en faisant vreconnaître les torts de son compagnon.




    A une époque où cela restait rare, c'était elle qui subvenait aux besoins du ménage car lui, se refusait à tout travail, non seulement il ne voulait que peindre, mais se refusait à toute exposition qu'elle avait tenté d'organiser, et aussi à vendre ses toiles. A plusieurs reprises, elle avait démarché pour lui obtenir divers emplois qui lui semblaient convenir, entre autres un essai pour être illustrateur chez Delagrave, ou des contrats pour créer des décors ici ou là. Il avait toujours refusé.




    Au début, c'était sa couture à elle qui avait tout payé, y compris les tubes de peinture. Puis au bout de quelques années, elle s'était refusée à ce sacrifice puisqu'il ne voulait participer à rien et il s'était résigné à restaurer des toiles et des sculptures pour les églises, suffisamment pour payer ses propres frais. Mais c'était tout.




     


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    Mes quatre ans révolus, ma mère m'inscrivit dans une école religieuse qui avait bonne réputation et permettait de poursuivre les classes depuis la maternelle jusqu'à la terminale sans quitter l'établissement. Demandant qu'il soit pris en compte que j'étais née en janvier et qu'elle m'avait un peu appris à lire, écrire et compter, elle voulait que j'aille directement en 11e, classe qui correspondait au CP. Mais la mère supérieure rejeta immédiatement une telle idée et m'admit en petite classe de maternelle (il y avait la petite et la grande) pour la plus grande contrariété de maman qui estimait que je perdais ainsi une année même compte tenu des normes.
    Je me rappelle y avoir énormément joué à la pâte à modeler, l'un de mes jeux préférés à la maison, pendant les quelques semaines que dura cet épisode scolaire. Mais je me souviens surtout de la salle du réfectoire non seulement parce que là, eût lieu l'évènement qui vint mettre un terme à cette première expérience, mais aussi parce que mes nombreux dégoûts alimentaires, me faisaient redouter cet endroit.
    Parfaitement rectangulaire, murs chaulés d'un blanc immaculé,  cette salle était sobrement ornée du traditionnel crucifix de bois accroché sur le mur du fond, au-dessus d'une estrade où se tenait la religieuse chargée de dire les prières et de maintenir l'ordre durant le repas. Plusieurs longues tables étaient disposées à bonne distance les unes des autres, chacune flanquée de ses deux bancs, qui permettaient à vingt-trente élèves de s'y asseoir. L'une d'elle était plus basse que les autres et accueillait les plus jeunes dont j'étais.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Le service se faisait à la française, à partir de marmites posées sur la table, une religieuse servait chaque assiette tour à tour. Le repas se composait de trois plats: l'inévitable soupe en entrée, puis un ragoût de viande et son accompagnement: légumes frais ou secs ou en conserve ou féculents, pâtes, riz, pain de semoule, sauf évidemment le vendredi où le menu était toujours composé de  morue et de pommes de terre bouillies, puis un dessert, en général de la compote ou de la confiture ou une barre de chocolat avec deux biscuits ou bien encore une part de fromage fondu.
    Nous disposions chacune d'une trousse de tissu marine -je crois- pliée en portefeuille, confectionnée par notre mère d'après les directives données par l'école et qui contenait notre couvert personnel, fourchette, cuiller grande et petite et couteau ne coupant pas, une timbale en métal de préférence, et une serviette de table brodée de nos initiales, dûment prise dans un rouleau de bois ou de plastique. Cette trousse marquée à notre nom, était portée le lundi et n'était ramenée à notre domicile qu'en fin de semaine.
    <o:p> </o:p>Le protocole suivi était celui-là: appelées à déjeuner par le son de la cloche, nous nous mettions en rang deux par deux puis pénétrions dans le réfectoire. A l'entrée, sur un comptoir, des caisses en bois, portant une plaque au nom de chacune des classes, étaient disposées surveillées par une ou deux bonnes soeurs; nous y piochions nos trousses respectives dans le calme le plus absolu. Puis nous allions nous installer à notre table. Si les religieuses étaient attentives à l'ordre dans lequel nous nous asseyions, nous pouvions cependant occuper des places différentes chaque fois, et avec un peu d'habileté, tenter de nous installer auprès d'une compagne préférée. Alors, nous nous asseyions pour disposer notre couvert dans une certaine rumeur inévitable. C'est quand elle s'était tue, que la religieuse surveillante, debout en tête de salle, paralysée dans l'attente, prenait la parole, nous demandait de nous lever pour la prière qu'elle récitait avec nous, puis nous souhaitant un bon appétit donnait l'ordre de servir tout en nous disant de nous rasseoir.
    <o:p> </o:p>A la fin du repas, nous nous levions sur ordre de la surveillante principale et quittions la table à pas comptés, à la queue leu-leu,  rincions nos couverts dans des cuvettes d'eau qui étaient alignées sur le comptoir disposé à la sortie,  puis les remettions dans nos trousses avec timbale vidée et serviette déjà pliée et enroulée, que nous déposions ensuite dans la caisse de notre classe. Tout cela se faisait dans la plus grande discipline et très rapidement.
    Je trouvais la formule particulièrement dégoûtante et de nature à ne pas avoir envie de me servir de mes couverts, le lendemain.
    <o:p> </o:p>Un jour que l'on venait de me servir la soupe, une louche seulement, (nous avions le choix entre une ou deux + le rab pour les grosses mangeuses), alors que j'entraînais à la nage mes vermicelles en tapotant dans le bouillon avec ma cuiller, un choc violent, à ma droite, surprenant par son intensité comme par sa brièveté, me fit me retourner vers ma voisine immédiate, celle-ci, toute raidie, venait  de tomber brutalement du banc, à la renverse, sa tête se cognant durement au carrelage. Il y eut un silence bref, une religieuse vint immédiatement vers l'enfant inanimée, puis plusieurs autres accoururent qui l'enlevèrent avec précaution. A peine un brouhaha léger plein de stupéfaction et le repas reprit son cours dans un silence un peu plus pesant que d'habitude.
    <o:p> </o:p>Je m'aperçois que j'ai toujours pensé que cette fillette était morte sur le coup mais qu'en fait je n'en ai aucune certitude, personne ne m'ayant expressément informée sinon pour me dire qu'elle avait fait une très mauvaise chute. Il est possible que je n'aie pas posé de question précise mais que j'ai plutôt évité le sujet car ma mère y aurait certainement répondu.
    Quoiqu'il en soit, comme j'étais moi-même sujette à ce type de crises bien qu'elles fussent rares, et considérant par ailleurs que l'accident avait pu me traumatiser de par sa proximité, ma mère, inquiète, me retira immédiatement de l'établissement.
    Je ne retournai à l'école (la même) qu'à 7 ans, sur les conseils du neurologue qui me suivait et qui m'avait soignée lors d'un coma que j'avais fait. Mais cette fois, il fut décidé que je ne resterai pas déjeuner et que malgré la distance, je rentrerai à midi à la maison.

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  •   unepoupée de Hans Bellmer




    Si Petrignani a ouvert quatre rubriques sur le thème de la poupée, Bambola, bambola Lenci, bambolino, Barbies, c'est qu'il y a beaucoup à en dire, notamment au sujet des rapports conflictuels que la gent féminine entretient avec les poupées.



    On distingue chez l'auteure elle-même un certain rejet des poupées lorsqu'elle décrit le dégoût de la petite fille pour la bambola exhibée sur le lit d'une couturière que celle-ci est fière de lui présenter (sa façon de raconter inclut l'enfant qu'a été le lecteur comme si c'était là une expérience collectivement partagée où l'écrivaine nous indique qu'elle nous a suffisamment en estime pour comprendre que nous non plus, nous n'aimions pas ça)



    Il y eut effectivement à notre époque puisque cet écrivain est de la même génération que moi, d'une part, un engouement de la femme adulte pour les poupées, de l'autre un jugement assez dur à forte connotation sociale sur cette déco jugée « primaire ».



    J'ai connu moi aussi de ces chambres à coucher ornées d'une poupée, ordinaire par elle-même mais extrêmement habillée de robes débordantes de volants, dentelles et fanfreluches en tous genres, assise au centre d'un lit deux places recouvert de satin molletonné rose, bleu ciel ou jaune d'or.



    Ma mère qui disait trouver cela de mauvais goût, admirait cependant certaines poupées qu'elle voyait chez des amies.



    Même si elles avaient une couturière, toutes les femmes cousaient et étaient à même d'apprécier un travail d'aiguilles compliqué comme celui que révélait ces poupées. Je me souviens particulièrement « d'Espagnoles » aux longues robes tourmentées de danseuses de flamenco dont la traîne envahissait parfois, une partie du lit.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Il y avait aussi, Petrignani, les « sautent », pour plus de concision, les poupées dites « de collection » qui s'alignaient dans des vitrines où elles présentaient des costumes régionaux ou nationaux. Et même, si là aussi, ma mère prétendait que c'était une drôle d'idée de les mettre ainsi en valeur, je la sentais intéressée.

    Une année, ma grand-mère, vivant en Belgique m'envoya un « gilles » bossu de carnaval, probablement parce que son compagnon d'un temps, un Breton, m'avait offert une poupée portant le costume de Quimper; enfin, un ami de mon père, m'expédia de Paris, une danseuse de french cancan.



    Du coup, je vis ma mère tournicoter autour de la cheminée de ma chambre où je les avais posées, me demandant si j'allais en faire la collection et ce que je voulais ensuite.



    Cependant, c'est la danseuse de french cancan qui m'intéressa vraiment quand je m'aperçus que non seulement elle avait des seins très réalistes mais qu'elle était en caoutchouc armé et que je pouvais ainsi tordre ses membres et son corps dans tous les sens pour lui faire prendre les positions les plus saugrenues. La pauvre fille en perdit son corset, sa jupe à froufrous et son boa en plumes, que j'avais mis de côté pour plus d'aisance dans le mouvement, et dont je ne la revêtis plus.



    Ma mère abandonna l'idée de collection.


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  • Armi = armes

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>


    Dans son catalogue, Petrignani parle d'armes véritables, pistolets à plomb et fusils.

    <o:p> </o:p>


    Mes premiers contacts avec les armes se firent également hors du monde du jouet.




    Autour de moi, cependant, personne ne pratiquait la chasse, ni mon père, ni ses amis. Les quelques paysans de ma famille maternelle ne chassaient pas non plus sauf exception mais ceux-là, je ne les connaissais pas. Pour les autres, ils pêchaient simplement ou ramassaient des crustacés et des coquillages.




    Cependant, mon père avait deux armes en sa possession, qu'il avait gardées après avoir quitté l'armée, celle-ci l'ayant enrôlé chez les paras, presque automatiquement, à sa sortie de camp allemand.




    Il s'agissait d'un révolver pas trop grand mais lourd que mon père me permit de manipuler plusieurs fois, après avoir auparavant retiré les balles. Et aussi de son couteau de parachutiste qu'il prenait souvent avec lui quand nous allions nous promener à la campagne. Il aiguisait à l'aide d'une pierre, les deux bords tranchants et vérifiait l'équilibre de la lame, en le lançant sur un tronc arbre après nous avoir demandé de nous reculer. C'était un bon lanceur et je le harcelai pour qu'il m'apprenne. S'il acceptait de me prêter ce poignard à la maison pendant quelques minutes pour que je l'examine, je n'avais cependant pas le droit de le lancer car je risquai, par maladresse, d'en esquinter le fil.




    Un jour, pendant l'absence du père, j'insistai auprès de ma mère pour qu'elle me passe le couteau, un petit peu ; juste pour le regarder. Elle finit par céder et me le remit tandis qu'elle repartait finir son travail. Je m'installai alors comme j'aimais le faire, assise en amazone, sur le bras de bois du fauteuil de bridge, à me balancer en poussant du pied tout en fixant le couteau que j'avais en main, pointe levée. Trop attentive à l'arme plutôt qu'à mon équilibre, je glissai, ma chute stoppée par mon coude heurtant la table devant moi, à quelque distance, fit que le couteau vint tout naturellement embrocher ma lèvre inférieure sur un centimètre. Ahurie, je me rendis à la cuisine retrouver ma mère, le couteau à la main semblant porter ma figure dont le menton dégoulinait de sang. Celle-ci hurla, puis appela d'urgence le médecin de famille qui accourut immédiatement et l'engueula copieusement pour m'avoir prêté l'arme, et, de plus, ne pas avoir eu la présence d'esprit de l'ôter de la blessure car j'avais risqué ainsi de l'élargir. La pauvre tenta de se justifier en disant qu'elle avait craint l'hémorragie, en retirant le couteau. Mais il ne fit que l'engueuler davantage.




    Du coup, ma mère changea de médecin. Quant à moi, j'eus désormais une petite cicatrice au-dessus du menton, qui, avec le temps s'atténua sans disparaître tout à fait.

    <o:p> </o:p>


     


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