• j'essaie de ne pas arranger mon témoignage, je dis témoignage car nous sommes des êtres grégaires et sans cesse l'on raconte les autres chaque fois que l'on récapitule un fait

    mais mon témoignage ne prétend pas à la vérité, juste à l'authenticité de l'acte de rappel

    je fais du mieux que je peux, c'est un simple exercice qui se contente de lui-même

    mais qui est facilité par l'usage du blog

    car mes statistiques m'encouragent quand elles sont à la hausse

    si mon témoignage n'est qu'une facette illusoire d'une vie qui l'est tout autant, où non seulement les souvenirs sont filtrés par ce que j'étais et ce que je suis devenue mais aussi par l'étranglement du quotidien qui réduit la disponibilité effective, le temps que je consacre à ce blog parfois, temps qui s'étrécit d'autant plus que la motivation se dissout


    je crois cependant très fort en l'honnêteté intellectuelle, et celle-ci me renvoie à l'expérience individuelle car seuls les individus peuvent prétendre à cette recherche. Les groupes, les sociétés, les rassemblements sont mus par des doctrines, des codes et des règles et les chemins qu'ils creusent sont sans fin car ils n'ont pour but que de prouver la véracité de leurs assertions.







      







     


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    Qu'emmèneriez avec vous pour séjourner en un lieu retiré ?
    ou encore, que voudriez-vous trouver parmi les épaves rejetées sur la plage si vous étiez naufragé, ce qui revient à peu près au même




    Ce test Robinson Crusoë, se décline d'abord selon d'invraisemblables suppositions...
    l
    et pourtant...
     Le moindre déménagement de quelque importance, peut vous contraindre à sacrifier une partie de vos biens.
    Et oour le cortège des déplacés et migrants de toute origine, le thème est d'une banalité effarante.
    En cas de catastrophe, quand il faut se résigner à fuir une maison qui s'inonde,  un territoire bouleversé du fait de la nature ou des hommes, il faut choisir, et vite, l'obligatoire, le nécessaire qui, à la dernière minute, sur le moindre coup de tête sont sacrifiés au superflu indispensable à l'âme.


    Lorsque nous fûmes rapatriés d'Algérie, en août 61 par décision de l'Education nationale pour laquelle mon père travaillait depuis quelques années, nous n'eûmes droit qu'à deux valises de vingt kilogs et un bagage à main léger, chacun. Mes parents avaient prêté leurs valises quelques mois auparavant à des amis qui étaient déjà partis et ne les leur avaient pas renvoyées et ce fut toute une affaire pour en trouver d'autres. Le nombre excessif de départs simultanés avait entraîné pénurie de bagages.  Il fallut plusieurs jours de recherche avant que mon père ne trouvât deux valises, pas très grandes et de fabrication bon marché, en tissu écossais léger fermé par glissière, qu'il payât évidemment très cher.
    Nous disposâmes ensuite d'une semaine environ, pour les remplir ce qui provoqua maints questionnements et réflexions diverses sur le choix de ce qui serait emporté. Il fut d'abord décidé de ce que l'on mettrait ailleurs que dans ces valises, ainsi les papiers d'identité et administratifs de la famille et autres documents auxquels il tenait, seraient dans la serviette de mon père, qui avait tout du gros cartable. Ma mère prendrait un cabas un peu chic mais vaste, qu'elle prenait pour aller à la plage et y mettrait  le nécessaire pour ma soeur qui venait juste d'avoir un an, donc biberon, céréales en paillettes et petit pots, deux, trois vêtements de change si salissures soudaines. A ce propos, la question des couches fut anecdotique. Ma soeur était propre mais s'oubliait encore parfois, quoique rarement, et ma mère estima que le voyage et ses suites la perturberaient et qu'il serait nécessaire de nouveau de lui faire porter des couches. Il n'était pas question, bien sûr d'emmener le linge traditionnel auquel elle l'avait habituée, couches culottes et couches en coton blanc + culotte en plastique doublé, puisque les lessives seraient probablement impossibles pour un moment. Ma mère acheta donc pour la première fois de sa vie, un paquet de couches à jeter, qu'elle choisit énorme, afin de ne pas être prise au dépourvu. Par précaution, elle voulut en faire porter immédiatement à ma soeur, qui, non habituée à leur contact, n'en voulut pas et se mit à brailler tant et si bien qu'on la lui retira et qu'on lui remit jau final sa culotte petit bateau.
    Par esprit de contradiction, Petite soeur, ne fit plus jamais pipi ni caca sur elle et le paquet de couches que l'on trimballa  -au cas où-  pendant des jours et des semaines, fut tout à fait inutile





    Mais je poursuis ma petite histoire, ma mère étant ainsi fort encombrée, ce fut moi qui fut chargée des en-cas, sandwiches divers, thermos et biscuits, lesquels ne furent pas mangés pendant le voyage lui-même mais finalement partagés avec d'autres rapatriés en attente avec nous pendant une journée entière, à notre arrivée à Marignane.




    Restaient les valises à combler, nous y mîmes d'abord du linge de corps, en retirâmes ensuite quand nous vîmes qu'il n'y avait plus de place pour le reste. Ajoutâmes des fringues de tous les jours, les retirâmes pour y mettre les fringues dites "de ville", plus habillées. J'avais une véritable canadienne grand luxe, du Canada, jamais mise car d'abord trop grande, et puis de toute façon trop chaude mais qui, cette année là, m'allait enfin, et qui, à Paris m'eût été utile mais je dus la laisser car elle prenait le volume de toute une valise. Il en fut de même du manteau le plus chaud de ma mère ainsi que du pardessus de mon père. Voyant ma mère glisser des escarpins (ma mère en raffolaient autant que des gants et en avaient une petite collec) dans sa valise puis les reprendre, les échanger, les remettre, j'avais renoncé à une seconde paire de chaussures, celles que je portais sur moi suffiraient. Au bout d'un moment, mon père fit pareil, d'autant plus que les siennes étaient lourdes. Par compensation, au moment de partir, il chaussa de grosses bottes de cuir parce qu'elles étaient les plus coûteuses et qu'il ne voulait pas les perdre. C'est ainsi qu'il fut dans l'inconfort pour un bout de temps.
    Devant ma soeur, on étala tous ses jouets pour lui faire choisir ce qu'elle prendrait, et l'on répéta l'opération à plusieurs reprises et plusieurs jours consécutifs mais elle s'obstina à mettre dans la valise, un vieux hochet composé d'un anneau avec au centre une sphère à moitié remplie d'eau sur laquelle voguait un cygne, avec lequel elle ne jouait plus depuis longtemps. S'en suivit une discussion bête entre les parents et moi. Mes parents jugeant qu'elle jetait le cygne dans la valise parce qu'elle voulait s'en débarrasser et qu'il ne fallait pas suivre, moi, disant le contraire parce que j'avais de l'affection pour ce jouet. A la fin, dans l'incertitude, on se rangea à mon opinion. Ma soeur déçut encore ma mère au dernier moment, refusant d'emporter son gros ours (comme charlie brown, plus tard, son fétiche à suçoter et à emmener partout, était un carré de coton blanc, une couche en fait) pour s'entêter à empoigner un bambi de caouchouc couineur avec lequel elle cassa les oreilles de tous les passagers de l'avion.




    A moi aussi, mes parents me demandèrent de choisir ce que je voulais garder parmi mes possessions. Les jeux auxquels je tenais le plus étaient mes constructions de chalets suisses mais c'était impossible de les prendre. Comme je lisais beaucoup, ils croyaient que je choisirais un livre mais je ne parvins pas à en sélectionner un parmi tous et finis par me dire qu'il y avait partout des bibliothèques et des librairies. Je faillis prendre ma poupée caoucchouc et puis je me dis que ce n'était plus de mon âge, que je n'en ferais rien, ma malette à couture qui était fort jolie et que souvent j'ouvrais, juste pour regarder le contenu mais je n'aimais pas coudre et le choix me paraissait d'autant moins judicieux que la boîte était volumineuse. Ma petite voiture mécanique que j'avais adorée car elle virait au moindre obstacle et aussi quand elle approchait le vide, et avec laquelle je m'étais longtemps amusée, était cassée depuis des années et même si je l'avais gardée dans un tiroir, je trouvai ridicule et de mauvais goût de transporter une chose cassée.




    Il me fallait prendre quelque chose de petit alors mon Gilles de Binche me tenta, avec son visage au sourire figé, son chapeau de plumes d'autruche et ses grelots mais il y avait toujours eu quelque chose en lui qui me mettait mal à l'aise: j'hésitais à emporter aussi l'un de mes petits tableaux bretons en bois sculpté, puis peint, qui représentaient pour l'un un groupe de joueurs de cornemuse et pour l'autre des jeunes filles coiffées à la mode de Quimper et qui dansaient mais je les avais tant observés qu'il me semblait les connaître par coeur.




    Me surprenant moi-même, je jetai finalement mon dévolu sur un petit âne violet en céramique qui me semblait avoir toujours été sur l'une de mes étagères et que je ne regardai jamais. Sans doute, par pitié ultime car il était de tous, le mal aimé; il me rappelait le Cadichon de la Comtesse, l'humilité du Pauvre Martin de Brassens, le merveilleux conte de Peau d'âne et puis le lait d'ânesse des belles des mille et une nuits.





    Quant à mes parents, en dernière minutes, ils ôtèrent quelques uns de leurs vêtements pour y fourrer leurs disques préférés, Gershwin pour ma mère, Hooker and blues pour mon père, Vian pour les deux


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  • L'autre voisin du premier était barman et serveur de restaurant chez ma tante qui logeait en priorité ses employés quand ils le lui demandaient. Ceux-ci versaient le même loyer que mes parents et tous les autres locataires. Habitaient avec lui non seulement sa femme et ses trois enfants mais aussi sa mère, sa belle-mère et sa belle-sœur.




    Cas identique pour la famille arabe du second, le père était également barman, avait aussi deux ou trois enfants, et des sœurs, et sa belle-mère au logis.





    D'après ce que j'avais pu observer, les jeunes filles ou jeunes femmes non mariées, vivaient chez leurs frères et leurs belles sœurs et assumaient en contrepartie du vivre et du couvert, les charges du ménage, de la lessive et, partiellement celles de la cuisine et des soins aux enfants, les mères de famille s'occupant en priorité des nourrissons, de la gestion générale du foyer, de la confection des repas, et aussi de leur beauté dès lors qu'elles étaient déchargées du plus contraignant. Les vieilles femmes de l'immeuble avaient des sorts variés. L'une d'elle ne faisait rien et donnait des ordres à tout le monde. Les deux autres, au contraire, semblaient travailler beaucoup sans que nous sachions si c'était là l'effet de servitudes ou d'actes volontaires.






    Au second, vivait aussi l'autre famille française. L'homme était militaire, son épouse, précédemment veuve d'un autre militaire avait deux garçons, un de chaque lit, le premier, né à Libreville, au Gabon. Cet enfant qui avait juste deux ans de plus que moi fut mon ami d'enfance et, quand il n'était pas à l'école des Frères où il passait beaucoup de temps car il y restait à déjeuner et aussi à l'étude du soir, nous jouions régulièrement l'un chez l'autre par alternance. Sa mère et son beau-père, par le fait du hasard, étaient tous deux originaires de l'Orléanais. Sa famille paternelle était normande. Chaque année, la mère et ses deux fils passaient la saison d'été en France, faisant le tour des membres des différentes branches de leur famille, de Caen à Orléans.




    Cette voisine et ma mère s'étaient liées par la force des choses plutôt que par affinités, car elles étaient très différentes. Il n'empêche qu'elles étaient parvenues à une certaine intimité qui les rendait tolérantes l'une vis-à-vis de l'autre et se muait peu à peu en affection réciproque.






    Notre appartement était donc au troisième et un couple de Juifs séfarades d'un certain âge, était nos voisins mitoyens. Sans enfants, ils étaient ceux qui avaient les ressources les plus élevées, revenus qu'ils ne devaient qu'à l'habileté du mari qui était un tailleur qui avait monté seul et sans capitaux, son commerce, pour ensuite prospérer jusqu'à pouvoir employer du personnel. C'était un homme aimable et débonnaire, coquet, réputé pour sa gentillesse comme pour son travail. Très attaché à sa femme, dont on disait qu'elle avait dû être très belle et qui restait toujours très élégante malgré son embonpoint. il lui ramenait sans cesse de petits cadeaux et, plein d'attention, veillait à la distraire d'une dépression chronique dont elle semblait affligée, et qui l'avait menée à plusieurs tentatives de suicide. Il l'entraînait le soir, à chaque spectacle ou concert qui semblait digne d'intérêt. L'appartement était tenu par un drôle de beau jeune homme grand, mince et souple, au teint ambré, dont j'étais un peu amoureuse (et je n'étais pas la seule dans l'immeuble!) originaire des îles, qui clamait en riant qu'il « n'aimait » pas les femmes car il les admirait trop pour cela. Jouant son rôle de « boy » parfois jusqu'à l'outrance, il passait la matinée à tout nettoyer méticuleusement et l'après-midi à cuisiner pour le soir et le lendemain, tout cela en chantonnant à tue-tête et en racontant des histoires drôles à sa patronne qui l'adorait. Le couple qui disait le considérer comme un fils, lui payait divers cours, dont un de claquettes. Il finissait son travail quand le mari arrivait, vers 18 h et revenait le lendemain, à 9 heures ou vers 10 h 30 car il était chargé d'assurer le plus gros du ravitaillement alimentaire. Tout en récurant l'appartement et en lavant le sol, il racontait les soirées et les nuits qu'il passait dans des dancings et autres lieux, afin de distraire notre voisine tout en se faisant plaisir. Parfois, l'après-midi, nous entendions tout d'un coup très fort, diverses musiques qu'ils passaient sur le microsillon et nous savions là, qu'il la faisait danser. Et c'était tout aussi bien des valses de Strauss, des tcha-tcha-tchas ou des bossa-novas endiablées.






     






     


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  • C'était un immeuble comportant trois étages d'appartements, paliers au garde-fou en fer forgé, desservis par un escalier très raide qui se poursuivait encore plus vertical jusqu'à la porte donnant sur la terrasse. L'entrée du rez-de-chaussée était étroite, toute la surface bouffée par un grand garage qui servait de dépôt au restaurant de ma grand-tante. Avec son époux, elle accumulait là des boîtes de conserve énormes qui s'empilaient en pyramides instables, nombre jambons et saucissons pendaient à des crocs de boucher dont l'ombre sur les murs gris, m'effrayait quand il m'arrivait d'accompagner l'un ou l'autre dans cet antre protégé par de multiples serrures et verrous aux clés tintantes.


    Sous la cage d'escalier, il y avait un réduit triangulaire où l'on pouvait pénétrer par une porte dont on croyait qu'elle était un mur. Y étaient installés depuis fort longtemps, une couchette étroite et un petit placard.


    Seule ma grand-tante disposait de la clef et il fallait s'adresser à elle pour cet hébergement qui restait secret et qui devait être de brève durée, jamais plus de 3 jours bien que ma mère et moi connûmes un cas qui dura des mois et qui nécessita notre complicité pour le ravitaillement et l'évacuation des féces et urines. Le service rendu était rare et gratuit par une espèce de superstition qui faisait que de l'argent gagné ainsi ne pouvait porter chance.


     


    Au premier étage, vivaient deux familles arabes, enfin, pas tout à fait, puisque l'un des couples était mixte, le mari originaire du centre France paraissait avoir perdu toute identité, par la misère, la maladie (il souffrait des séquelles de divers maux du sud, malaria, amibes, etc) qui l'avait rendu quasi-grabataire. Ma mère disait qu'il percevait une petite pension de l'armée, pas grand-chose. Lui était gris et sans âge, sa femme mauresque, paraissant bien plus jeune, était vive et belle. Elle sortait régulièrement des après midis entières et j'entendis parfois chuchoter qu'elle se prostituait et achetait avec l'argent qu'elle gagnait, les bijoux en or qu'elle portait toujours sur elle afin de ne pas être volée. C'était là chacun le devinait, une promesse d'avenir meilleur. En attendant, son logement était, de loin, le plus misérable de tout l'immeuble. Il était tout à fait nu, avec des meubles rares et tristes. Aucune étoffe ne venait l'orner. Aucun bibelot ou même pièce de vaisselle sinon le strict nécessaire et le plus laid, des assiettes de ce verre qui ne paraît jamais propre et des couverts de mauvais métal qui perdait sa couleur. Des moisissures rongeaient les murs par plaques et s'épaississaient en masques difformes et noirâtres dans les angles. Les voisins disaient que chez eux, même les cafards et les charançons ne venaient pas, de peur de mourir de faim. Des enfants affamés vivaient là, enfermés, réchappés des diarrhées et autres malheurs qui avaient tué en bas âge certains de leurs sœurs et frères que l'on avait vu disparaître à peine sortis du ventre de leur mère.


    Pour cette raison, l'on m'envoyait, moi, encaisser leur loyer, juste le jour où la pension tombait, ma mère ne voulant plus être confrontée à la maigreur des gosses en sachant qu'elle ne pouvait rien faire vraiment.


    Pourtant de multiples efforts furent faits. Les familles arabes leur apportaient régulièrement des crêpes au miel et de la chorbah. Les deux françaises, du bouillon de poule, des tartes et des gâteaux qu'elles faisaient, et aussi, elles surveillaient Z lors des naissances car on la soupçonnait de faire mourir ses enfants. Elles lui parlaient de soins à donner au bébé mais aussi de contraception, lui expliquaient diverses méthodes dont surtout la méthode Ogino. Mais Z les envoyait promener avec un grand rire. Rien de son environnement ne paraissait avoir d'influence sur elle. Elle avait la chair fruitée, les dents blanches, la poitrine généreuse, les hanches pleines et la bouche gourmande, et se fichait tout à fait de tout ce que les gens pouvaient penser, de tout ce que ses enfants pouvaient endurer. Sans vraie méchanceté, elle croyait au destin, à la chance et à la ruse, s'en sortiraient les forts s'ils savaient s'y prendre, pour les faibles, c'était tant pis, si de plus, ils n'étaient pas malins. On parla d'eux à un responsable de l'hôpital pour enfants, aux médecins des diverses familles, aux religieuses. Un enquêteur vint une fois à leur domicile. Il dit avoir trouvé les enfants un peu fluets mais polis et c'est vrai qu'ils l'étaient, et qu'à voir les bijoux que portait la mère, la famille n'était pas pauvre.


     L'affaire fut close.


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  • en ce mois d'août  69, alors que je gardai l'appartement de mes parents, je dépensai en trois jours l'argent qu'ils m'avaient donné pour un mois et, voyant que je n'avais pas suffisamment de boîtes de ronron d'avance, je cherchai du travail dare-dare.

    Les gens de Manpower me firent de grands sourires en me voyant entrer et j'ai su tout de suite qu'ils allaient me proposer une mission ingrate. Quand ils me dirent de quoi il s'agissait, je leur demandai un supplément de salaire horaire et des primes de risque etc  Contre toute attente, ils se montrèrent généreux mais me demandèrent de rester discrète. Le boulot était pratiquement top secret.



    Une fois le contrat négocié et signé, ils m'indiquèrent sur un plan, où se trouvait l'entreprise et me prièrent de leur téléphoner le moins possible, attendu qu'ils ne pourraient probablement pas m'aider. D'ailleurs, le mieux était que je ne parle de rien à personne comme l'avait demandé l'usine.

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    Intriguée, je me présentai donc au bout de la ville de Grenoble, à la porte de ce que manpower avait désigné comme la conciergerie arrière, d'une grosse usine de produits chimiques qui étalaient nombre de bâtiments industriels sur pas mal d'hectares de terrain. La gardienne des lieux avait la cinquantaine grande et forte, pleine d'autorité tranquille.



    Elle me regarda des pieds à la tête et me demanda si l'on m'avait expliqué de quoi il retournait. Je résumais que l'on m'avait dit qu'il fallait faire l'état des lieux de dortoirs où logeaient des ouvriers yougoslaves et commencer à les rendre de nouveau habitables. J'ajoutai qu'il était entendu qu'une autre femme m'aiderait dans cette tâche car je n'avais pas l'habitude de faire des ménages et qu'il me serait possible de demander un homme à tout faire pour les petites réparations dont je devais faire la liste, j'étais davantage là pour juger des mesures nécessaires, d'après ce que l'on m'avait dit. Après un blanc, la gardienne ne se tint plus de rire, puis ayant repris son calme, elle répliqua que c'était exactement ça et qu'elle allait me montrer immédiatement les lieux. Ensuite, elle m'offrirait le café.



    Nous nous éloignâmes de sa petite maison entourée d'un jardin clos. Elle m'indiqua qu'elle en avait fait un potager et un verger car les fleurs ne se mangeaient pas si bien et que le soir-même, elle me donnerait des reine-claude car elle en avait trop. Après avoir traversé un grand espace au sol cimenté, nous atteignîmes une rangée d'immeubles mitoyens, d'un blanc sale aux petites fenêtres carrées. A une dizaine de mètres, à droite, un amoncellement d'ordures débordait d'une huitaine de grandes poubelles agglutinées de manière inextricable. Mme E les désigna en remarquant que les éboueurs refusaient maintenant de s'en occuper, estimant qu'ils n'avaient pas à déblayer les déchets autour des containers pour y accéder. Elle ajouta que ces immondices mais aussi ce qu'il y avait là-bas (elle m'indiqua les bâtiments du menton) avaient attiré pas mal de rats et que cela commençait à l'inquiéter. C'était d'ailleurs, pour cette raison que la direction s'était adressée à Manpower.



    Au lieu d'entrer par les portes d'entrée vitrées de devant, elle m'invita à contourner les immeubles pour y pénétrer par l'une des petites portes arrières qui donnait sur un couloir transversal où après avoir de nouveau franchi une porte, je me retrouvai dans une sorte de grande cuisine-salle à manger collective. Tout au long des murs courait une paillasse, ponctuée d'éviers et de réchauds à gaz. A l'intérieur de la pièce, se pressaient tables et chaises. Je ne vis pas d'abord tout cela mais l'épaisse couche de nourriture avariée, de conserves ouvertes, épluchures, bouteilles et cannettes, casseroles et vaisselles sales et cassées qui jonchaient le sol, les tables, les plans de travail pour former une couche de détritus épaisse de plusieurs centimètres dans lesquels couraient des rats et des cafards et blattes de toutes sortes qui ne se cachaient même plus. La scène était si impressionnante que j'ai toujours regretté de n'avoir pas pu la photographier.

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