• J'aimais beaucoup ma grand-mère maternelle. Une femme douce et fragile qui avait connu maint bouleversement d'ordre sentimental et matériel sans jamais se plaindre de ses revers. Elle était d'ailleurs remarquablement silencieuse sur elle-même et ce qu'avait été sa vie. Il faut dire qu'elle planait beaucoup et que les choses matérielles ne la concernaient guère même si, elle avait cette grâce naturelle de savoir utiliser joliment l'argent. Celui-ci lui filait entre les doigts comme flocons de neige au printemps. Elle m'apparaissait généreuse, pouvant donner tout ce qu'elle possédait sans craindre manquer. Quoiqu'il arrivât, je la voyais toujours souriante. La seule chose qu'elle me révéla à son propos, une fois qu'elle était un peu ivre, est qu'elle avait reçu bien plus qu'elle n'aurait espéré, bien plus qu'elle ne l'avait mérité, bien plus qu'elle n'avait donné.



    Une incorrigible inconsciente, jugeait la famille qui l'avait en affection mais la trouvait insupportable. Ce qui était assez l'avis de sa fille, ma mère qui, pourtant si gentille et tolérante,  se montrait parfois haineuse à son propos. Il me fallut quelque temps pour comprendre, à force quun parent ou un autre me racontât des fragments de sa vie fertile en rebondissements, fragments que j'avais parfois du mal à remettre dans l'ordre chronologique. 



    Ma grand-mère était très différente de ses dix frères et soeurs. Dernière née, au retour d'âge de sa mère qui avait passé les cinquante ans, elle avait plus de 10 ans d'écart avec son frère et sa soeur les plus proches, plus de 20 et jusqu'à 38 ans avec les autres. Lorsqu'elle est née, ses parents avaient accumulé les biens, mais faisaient comme s'ils étaient pauvres ainsi que leurs aînés, ils vivaient dans l'austérité, cependant que certains de leurs cadets (pas tous, loin de là) avaient élevé leur niveau de vie, ainsi sa soeur Anna, qui avait de gros revenus et 22 ans de plus qu'elle. Peut-être parce qu'Anna ne pouvait plus enfanter après avoir subi un dernier avortement malheureux, elle s'enticha de son bébé de soeur qui paraissait si fine et si fragile par contraste avec les autres membres de la famille plutôt grands pour l'époque, et athlétiques. Elle l'éduqua donc d'autant plus que la "mère" toute à ses terres et à la pêche qu'elle aimait pragtiquer, s'en occupait peu. Cependant Anna, trempait toujours dans  un tas d'affaires, avait aussi son époux, officier de marine, qui tenait à une présence non stop, les rares fois où il rentrait au foyer, et puis ses amants quand l'époux était absent, et ses amis et les fêtes qu'elle organisait. Bref, selon l'heure du jour, le jour de la semaine, le mois de l'année, ma grand-mère était transbahutée de droite et de gauche, passant des bras d'un membre de la famille à ceux d'une nurse. Cependant, grâce à Anna, elle bénéficia pendant toute son enfance et son adolescence, d'une garde-robe abondante et luxueuse, d'une chambre adorable, de nombreux jouets et livres, de cours partiuliers, d'un piano dont elle jouait très bien, d'une petite écurie pour son cheval qu'elle montait à loisir, et même à 16 ans, d'une fort belle voiture décapotable dont j'aimais regarder la photo très chic, ma grand-mère au volent, très belle et très élégante, dans son manteau de fourrure porté sur une robe de mousseline légère. C'est ainsi que jeune fille, elle était pratiquement la seule femme d'Alger à disposer d'une voiture et à la conduire.



    Malgré tout cela, elle voulait quitter Alger, disait qu'il y faisait trop chaud et qu'il y avait trop de pauvres, ce qui la rendait triste, à 18 ans, elle donna tout ce qu'elle avait à ses neveux et nièces qui, parfois, étaient plus âgés qu'elle et rejoignit donc des aînés qui habitaient Paris pour avoir pensé la même chose avant elle. 


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  • d'

    Tout à l'heure, l'un de mes fils me regarde et dit: "j'aimerais bien avoir 50 ans et plus comme toi, ce serait déjà tout fait" Je réponds en me marrant ou en faisant semblant: "Ah bon, tu prends ma place, je prends la tienne !" on se zyeute et j'ajoute tout bas: "quoique..."  C'est à son tour de rigoler. "Oui, tout ça... dit-il, dans un grand mouvement du bras. Je sais ce qu'il pense, oui, toute ces choses fatiguantes qu'il va lui falloir faire... et se débattre avec, et qui se résume à apprendre à trouver sa place


    Je le sais bien, ce n'est pas toujours facile, ni vraiment intéressant et parfois, l'on n'est guère motivé. C'est comme une grosse impression de répétition qui n'en finit plus.


    Bon, nous ne sommes pas très gais, ce soir, chez moi, sans raison précise, juste de la lassitude.


    Mon compagnon et moi sommes déprimés, ces temps-ci, la saison, notre tempérament aussi qui la plupart du temps était compensé par le goût de rire, qui a tendance à s'effacer avec le temps.


    Malgré nous, nous entraînons nos enfants à notre suite, je suppose. Je gémis. Quand apprendront-iils à se débarrasser de leuirs parents ?


    En ce moment, je ne me sens plus cap d'assurer.


    J'ai tendance à vouloir me recroqueviller dans un lieu étroit comme cela m'arrive parfois. C'est tout bête, j'aimerais me débarrasser de cette impression pesante que rien ne sert à rien, ce leitmotiv qui me poursuit depuis toujours entre deux envies de petits riens mais quand cela me saisit, qu'il est difficile d'évacuer ce sentiment et de retrouver le désir d'être là, juste là avec ceux que j'aime


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  • J'eus aimé pouvoir dire à la mère de A que je n'avais jamais prétendu être liée à l'Algérie, du moins de la manière qu'elle semblait suggérer et que cette naissance et cette enfance à Alger ne m'avait conduite qu'à un refus d'appartenance plutôt qu'à une double nationalité, mais elle n'aurait probablement pas compris puisque notre conversation n'avait été qu'une suite de malentendus.




    Alger a marqué mon caractère par le mensonge qui y était attaché, tout aussi bien, là bas, qu'ici; avant, que maintenant et dans les livres d'histoire et les coupures de presse; un mensonge si énorme qu'il ne pouvait pas être dissimulé et qu'il a modelé ma façon d'être et de penser.




    Enfant, je m'imaginais apatride ou citoyenne du monde ce qui me semblait revenir au même.




    Je ne m'étais jamais sentie « Algérienne » comme la mère d'A avait eu envie de l'affirmer. D'abord parce que  « algérienne »  pendant mon enfance (cette femme, encore jeune, devait être née juste après l'indépendance) était l'adjectif qui venait se coller à Algérie par opposition à française. Algérie algérienne contre Algérie française.

    La nuit, des voix s'élevaient parmi le déferlement des youyous et scandaient « Algérie Algérienne» c'est-à-dire l'Algérie indépendante, l'Algérie des non-français, l'Algérie des « indigènes » et, pour exister, cette Algérie algérienne semblait nécessiter davantage qu'une simple fin du colonialisme mais la suppression sanglante de ce qui en était l'incarnation, c'est à dire les colons et par extension, les Français et la France même.




    Et si j'élargis la définition du qualificatif « d'algérienne » au sens d' « appartenance à la terre d'Algérie », je peux affirmer que je ne le sentai pas non plus ainsi, pas plus que je ne compris cette appellation de « pied-noir » jamais entendue auparavant dont on m'affubla, une fois arrivée en France.




    Petite fille, je ne ressentais pas ce pays comme mien. Les plus nombreux de ses habitants, ceux qui semblaient se fondre au paysage me restaient « étrangers » tant par la langue et l'apparence que par leurs comportements et, les autres, les "colons" ne m'étaient guère proches.

    J'aimais cette terre où j'étais née, ses odeurs d'épices, sa végétation, son ciel et son soleil, sa population bigarrée qu'il m'était indifférent de ne pas comprendre, et puis surtout sa nuit constellée d'étoiles. Mais je ne la sentais pas mienne, juste une terre de passage que l'on m'avait offerte pour un séjour que je devinais bref. Je crois que toute mon enfance, j'ai attendu le départ. Toute mon enfance, je me suis appliquée à estomper tout désir à son propos et à ne pas m'attacher à ce que l'on disait m'appartenir, comme si je me préparais à tout abandonner là.




    Je ne me sentis vraiment chez moi qu'à Paris, dans la ville elle-même, ses murs, son atmosphère si familière, son métro, sa grisaille bleutée, son esprit enfin, mais les individus, de nouveau, étaient pour moi, une nouvelle fois lointains, étrangers.




    Peut-être était-ce les récits des enfances bousculées de mes parents, de la déportation de mon père, de toutes les tragédies qui m'étaient racontées, souvent sur le mode de l'humour et de la dérision, et dont je sentais l'ombre auprès de moi.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p> A l'époque, même ma mère n'avait pas beaucoup vécu en Algérie et ses rêves se partageaient entre Etats-Unis et Asie. Née à Neuilly sur Seine, elle ne fut emmenée à Alger par sa mère que vers 8 ans où elle fit connaissance de ces colons qu'étaient les membres de sa famille maternelle, puis en partit à 16 ans, juste après l'armistice sous le prétexte de rendre visite à des parents qui habitaient Paris. Elle en profita pour s'inscrire à l'école Pigier, puis, son examen de sténodactylo passé, en fille curieuse, se rendit chez une autre tante à Bruxelles, où elle apprit la reliure et la dorure etc dans un petit atelier d'artisan du livre. Après ce court périple, elle revint à Alger parce que sa grand-mère qui s'était occupée d'elle pendant la fin de son enfance et son adolescence, était en train de mourir et la réclamait. Elle fit connaissance de mon père que l'armée avait soigné et engagé à sa sortie de camp pour l'envoyer ensuite en Algérie où il était en garnison depuis un an, songeant à rejoindre la vie civile.

    Ma mère allait avoir 20 ans et comme ses aïeux avant elle, disait espérer un jour, s'établir à New York, rêve qu'elle ne put accomplir, faute de vrai désir, probablement.

     


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  • une visite que j'ai racontée ailleurs mais plus partiellement et dont je n'ai plus le texte disponible mais qui me revient en mémoire



    Elle avait demandé à s'installer dans la cuisine plutôt qu'au salon et j'ai remarqué en rigolant que c'était mieux ainsi parce que le salon était encore plus en bordel. Elle a tiqué, m'a regardée fixement tout en s'asseyant. Et puis elle a décidé de passer outre cette familiarité qui, pensait-elle m'avait échappée et qu'elle croyait destinée à elle seule.



    Son problème me dis-je c'est qu'elle se trompait, j'étais toujours ainsi.



    Je me suis assise à mon tour, juste en face, en pensant que l'on commençait par un quiproquo. Je lui ai proposé un café ou un thé qu'elle a refusé.



    De taille moyenne, elle avait un corps trapu, un peu tassé par les gros travaux et le mal-vivre et aussi cette absence de coquetterie qu'ont les femmes qui se disent qu'elles n'auront plus d'homme. Il fallait regarder son visage un moment pour en reconstituer les traits, à l'origine, fins et réguliers mais que les soucis et les peines avaient effacé comme par un coup d'éponge en les épaississant, les unifiant jusqu'à l'anonymat.



    Elle a posé ses mains brunes, étonnamment encore bien modelées, fines et légères, sur la toile cirée bleu pâle essaimée de citrons entiers et en rondelles.



    J'ai pensé au couteau posé sur la table pour signifier la paix



    J'ai pensé aux jeunes filles des couvents à qui les religieuses, autrefois, ordonnaient de maintenir les mains hors des draps pendant la nuit, afin de s'assurer qu'elles ne se masturberaient pas.



    Et en les regardant, j'ai remarqué à quelques centimètres de son auriculaire, une petite miette de 2 ou 3 millimètres, peut-être un minuscule débris de corn-flake, qui était resté accroché sur la nappe. Cela m'a un peu chiffonnée malgré moi.  Elle l'a vu en même temps et elle m'a regardé en profondeur avec un léger  mépris qui flottait là comme un nuage de lait anglais. Je me suis souvenue d'une phrase entendue à la caisse d'un supermarché, « Les Français ne savent pas bien manger comme nous, nous on mange des légumes ! et puis on est propre !»



    Et puis elle m'a dit ce qu'elle avait à dire à propos de son fils qui fuguait, de ses autres fils qui étaient parfois en prison, de sa solitude de femme musulmane veuve ou séparée (je ne l'ai pas su) vivant en France. Elle m'a demandé de ne pas héberger son fils quand il ne rentrait pas à la maison, elle a même ajouté qu'elle n'était pas raciste mais qu'elle préférait que son fils ne vienne pas chez moi, qu'elle ne voulait pas qu'il joue avec les jeux vidéos de mes enfants et ainsi se pourrisse l'esprit  comme ses frères avant lui.



    J'ai répondu que ce n'était pas moi qui l'invitait mais les gosses et que le mieux était qu'elle le leur explique et que je ne pensais pas que son fils ait dormi chez moi ou alors je n'en avais rien su. (les chambres des gamins étaient au rez-de-chaussée, la nôtre et les pièces communes à l'étage)



    J'ai cru que l'histoire allait s'arrêter là, mais s'appuyant de ses deux mains, plus fort, sur la table et plissant des yeux, elle m'a demandé, me tutoyant pour la première fois :



    « ton fils m'a dit que tu étais Algérienne ? »



    Un peu interloquée, j'ai répondu :



    -         Je suis née à Alger



    Elle a eu un drôle de sourire



    -         Tu veux dire que tu n'es pas arabe comme moi mais moi je ne t'ai pas demandé cela



    -         Vous m'avez demandé si j'étais Algérienne, c'est une nationalité et je ne la possède pas. Je suis juste française.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

    Elle me regardait bizarrement et je sentais des tas de pensées disparates qui lui traversaient l'esprit. Elle m'a fait :



    -         C'est important, le pays où l'on naît, on lui appartient, mes fils sont nés en France.



    -         Ils sont donc Français, peut-être la double nationalité ? moi, de toute manière, la question ne s'est pas posée.



    Elle s'est levée pour prendre congé et elle est partie sur ces mots « Peut-être qu'une fois, tu retourneras à Alger et tu verras que j'ai raison »



     


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  •  



     je l'ai dit plus bas, mon père eut une enfance, puis une jeunesse tumultueuse



    j'hésite sur ce qualificatif; me viennent des mots comme tordue, irrégulière mais comme les moments de passion, de plaisir et de bonheur firent partie du lot, "tumultueuse" rend plus d'écho



    après que fut prononcé le divorce à torts réciproques, de ses parents, ses deux soeurs furent confiées à sa mère, et lui-même qui avait alors 9 ans, à son père qui l'emmena par les routes de France



    contraint de travailler pour gagner sa vie et celle de son fils, mon grand-père louait ses services aux églises car bien qu'il se disait athée et anti-clérical, il n'aimait rien tant que les églises, leurs colonnes et leurs arcades, leurs absides et leurs transepts, leurs vitraux et leurs clairs obscurs, réparant les statues de plâtre, les boiseries, rafraîchissant les couleurs des toiles illustrant la Passion, réparant les horloges et même parfois l'orgue quand il n'y avait personne d'autre pour le faire



    mon père dit qu'il ne manquât de rien pendant toute cette période aventureuse où avec son père, ils dormaient dans des meublés ou étaient hébergés par les curés ou leurs ouailles les plus avenantes



    les repas étaient pris chez l'habitant ou à l'auberge, payés par l'église



    mon père racontait que ce fut là une période exaltante, pleine de mouvement et de nouvelles rencontres



    Souvent,son père le gardait auprès de lui pendant le travail et lui l'aidait à préparer la colle de lapin ou encore, gâchait le plâtre, broyait des couleurs et même effectuait de petites réparations



    parce qu'ils ne restaient jamais très longtemps au même endroit, mon père ne fréquentait que très peu l'école pour ne pas dire pas du tout et c'était mon grand-père qui lui apprenait l'essentiel, c'est à dire les mathématiques et la géométrie, la physique, la mécanique et la chimie. Pour le français, il prétendait que lire beaucoup et parler suffisamment permettaient de l'apprendre bien, or, partout où ils allaient, il y avait beaucoup de livres et, l'on conversait aussi des soirées entières.



    et mon père lut ainsi, non seulement l'ancien et le nouveau testament, des catéchismes et des livres de cantiques mais plusieurs exemplaire des vies des saints, des livres édifiants sur la Pâques et la résurrection et puis surtout chez l'un de leur hôtes des bouquins de vulgarisation scientifique où l'on parlait d'Einstein comme d'Edison et il n'eut alors plus qu'une idée en tête, c'était de devenir savant ou trouvetout


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