• histoire de nationalité

    une visite que j'ai racontée ailleurs mais plus partiellement et dont je n'ai plus le texte disponible mais qui me revient en mémoire



    Elle avait demandé à s'installer dans la cuisine plutôt qu'au salon et j'ai remarqué en rigolant que c'était mieux ainsi parce que le salon était encore plus en bordel. Elle a tiqué, m'a regardée fixement tout en s'asseyant. Et puis elle a décidé de passer outre cette familiarité qui, pensait-elle m'avait échappée et qu'elle croyait destinée à elle seule.



    Son problème me dis-je c'est qu'elle se trompait, j'étais toujours ainsi.



    Je me suis assise à mon tour, juste en face, en pensant que l'on commençait par un quiproquo. Je lui ai proposé un café ou un thé qu'elle a refusé.



    De taille moyenne, elle avait un corps trapu, un peu tassé par les gros travaux et le mal-vivre et aussi cette absence de coquetterie qu'ont les femmes qui se disent qu'elles n'auront plus d'homme. Il fallait regarder son visage un moment pour en reconstituer les traits, à l'origine, fins et réguliers mais que les soucis et les peines avaient effacé comme par un coup d'éponge en les épaississant, les unifiant jusqu'à l'anonymat.



    Elle a posé ses mains brunes, étonnamment encore bien modelées, fines et légères, sur la toile cirée bleu pâle essaimée de citrons entiers et en rondelles.



    J'ai pensé au couteau posé sur la table pour signifier la paix



    J'ai pensé aux jeunes filles des couvents à qui les religieuses, autrefois, ordonnaient de maintenir les mains hors des draps pendant la nuit, afin de s'assurer qu'elles ne se masturberaient pas.



    Et en les regardant, j'ai remarqué à quelques centimètres de son auriculaire, une petite miette de 2 ou 3 millimètres, peut-être un minuscule débris de corn-flake, qui était resté accroché sur la nappe. Cela m'a un peu chiffonnée malgré moi.  Elle l'a vu en même temps et elle m'a regardé en profondeur avec un léger  mépris qui flottait là comme un nuage de lait anglais. Je me suis souvenue d'une phrase entendue à la caisse d'un supermarché, « Les Français ne savent pas bien manger comme nous, nous on mange des légumes ! et puis on est propre !»



    Et puis elle m'a dit ce qu'elle avait à dire à propos de son fils qui fuguait, de ses autres fils qui étaient parfois en prison, de sa solitude de femme musulmane veuve ou séparée (je ne l'ai pas su) vivant en France. Elle m'a demandé de ne pas héberger son fils quand il ne rentrait pas à la maison, elle a même ajouté qu'elle n'était pas raciste mais qu'elle préférait que son fils ne vienne pas chez moi, qu'elle ne voulait pas qu'il joue avec les jeux vidéos de mes enfants et ainsi se pourrisse l'esprit  comme ses frères avant lui.



    J'ai répondu que ce n'était pas moi qui l'invitait mais les gosses et que le mieux était qu'elle le leur explique et que je ne pensais pas que son fils ait dormi chez moi ou alors je n'en avais rien su. (les chambres des gamins étaient au rez-de-chaussée, la nôtre et les pièces communes à l'étage)



    J'ai cru que l'histoire allait s'arrêter là, mais s'appuyant de ses deux mains, plus fort, sur la table et plissant des yeux, elle m'a demandé, me tutoyant pour la première fois :



    « ton fils m'a dit que tu étais Algérienne ? »



    Un peu interloquée, j'ai répondu :



    -         Je suis née à Alger



    Elle a eu un drôle de sourire



    -         Tu veux dire que tu n'es pas arabe comme moi mais moi je ne t'ai pas demandé cela



    -         Vous m'avez demandé si j'étais Algérienne, c'est une nationalité et je ne la possède pas. Je suis juste française.

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    Elle me regardait bizarrement et je sentais des tas de pensées disparates qui lui traversaient l'esprit. Elle m'a fait :



    -         C'est important, le pays où l'on naît, on lui appartient, mes fils sont nés en France.



    -         Ils sont donc Français, peut-être la double nationalité ? moi, de toute manière, la question ne s'est pas posée.



    Elle s'est levée pour prendre congé et elle est partie sur ces mots « Peut-être qu'une fois, tu retourneras à Alger et tu verras que j'ai raison »



     


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