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  • deux odeurs m'attachent à la région parisienne, le parfum bien connu du métro auquel je m'étais préparée car mon père m'en avait parlé, un parfum souterrain, intime, terre et métal mêlé d'essence d'humanité suintante, du très ancien et du très neuf, du transformable à l'infini, du mobile, la rame, du statique, les gens qui s'y tiennent rangés assis, debout, bien alignés ou en désordre


    de la distance qui se décompte en stations et de la proximité jusqu'à promiscuité, inconcevable ailleurs que là, dans le wagon aux heures de pointe


     


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  • Plus j'y pense et plus je survole des récits autobiographiques et plus j'observe que j'ai retenu peu de chose du passé.
    Peut-être parce que j'étais souvent dans un certain état de rêverie, déconnectée, dirions-nous maintenant. Quand il m'arrivait soudain de prêter attention à mon environnement, je me focalisais sur un détail qui répondait à mon état d'esprit et j'effaçais le reste, et la réalité m'apparaissait souvent bien plus étrange que la fiction.
    L'Algérie a conforté cette attitude en cela qu'elle m'indiquait qu'il valait mieux regarder droit devant que sur les côtés car son peuple n'aimait pas être observé, discernait souvent à tort ou à raison, l'injure ou l'agression dans le regard de l'autre.

    Je crois avoir toujours écrit mais c'était ce que j'appelais de la fiction, du merveilleux absurde, de la comptine au non sens, de l'amusant, tout au moins pour moi.

    Quand je fouille les images, les sensations, qu'est-ce que je trouve ?
    La chaleur, le bonheur puis la terreur sous le drap blanc quand je m'amusais à m'enfoncer dessous et que je tournai jusu'à en perdre le sens de l'orientation, me trouvant la tête coincée au fond du lit, et m'agitant brutalement pour en sortir comme le ferait une noyée, la respiration coupée par la panique.
    Sous la main, une peau douce duveteuse et frissonnante qui me fait penser je ne sais pourquoi à une vieille femme esclave, c'est le baudet sur lequel on m'aide à me jucher. Je veux descendre parce que je sens que la bête ne veut pas de moi, ma mère et ma grand-mère me tiennent et me stabilisent en souriant, croyant que c'est le baudet qui me fait peur.
    Aller à l'école accompagnée par mon père quand il avait changé enfin de travail et qu'il partait plus tard qu'auparavant, c'est à dire en même temps que moi, nous passions par des rues étroites que ne prenait jamais ma mère ni personne, par prudence. Elles étaient pratiquement désertes, je veux dire qu'il n'y avait pas d'européens, juste des indigènes enturbannés qui se faufilaient sans bruit contrairement à d'habitude. Et il y avait les chats, une bande de chats qui nous suivait en file, et les vieux en djellabah s'arrêtaient parfois quelques secondes pour regarder, et cela les faisait sourire avec hésitation. Tout le monde savait que les chats suivraient mon père pendant une dizaine de minutes, sur quelques tronçons de rues, pas un ne comprenait pourquoi et c'était pour cette raison qu'il ne pouvait rien arriver. Mon père appelait ces chats, ses gardiens. Il racontait que c'était un chat qui l'avait sauvé une fois en Allemagne:
    Après des mois de camp, il s'était évadé avec d'autres, ils s'étaient tous dispersés dans la nature, chacun tentant sa chance. Lui, s'était profondément blessé à la jambe en passant les barbelés, pendant des jours, il s'était traîné dans les champs en se cachant, souffrant et affamé. A la fin, il ne pouvait pratiquement plus avancer, sa jambe était devenue noire et toute gonflée. Il s'était alors retiré dans les buissons pour y mourir. C'est un chat qui l'avait trouvé et réveillé en faisant ses griffes sur lui.


      


    En le voyant si joli, bien nourri et sentant bon, mon père avait compris qu'il était à des gens qui s'en occupaient bien et, rassemblant ses dernières forces, avait rampé au hasard pour tenter de parvenir jusqu'à eux. Le chat le suivait, étonné, miaulant de temps en temps. De nouveau, mon père perdit connaissance. Mais quand il reprit ses esprits, une jeune fille le secouait, la maîtresse du chat qui était venue le chercher comme il ne rentrait pas. Cette Allemande et son père soignèrent et abritèrent mon père plus de quatre mois, dans leur ferme, jusqu'à ce que pour leur sécurité, il repartit, se faisant de nouveau arrêter et envoyer en camp...
    Tout le long de cette dernière année d'enfermement et de torture morale et physique qui suivirent, sa jambe le fit souffrir, plusieurs fois infectée, elle faillit être coupée mais il la garda finalement jusqu'au bout.
    C'est ainsi que je connus toujours mon père avec une jambe malade d'un ulcer compliqué d'un psoriasis, une grande tache qui virait du violet à un noir maléfique sur tout le dessus de la jambe droite.
    Il prenait chaque jour des médicaments pour soulager la douleur et y appliquait une pommade dans les périodes de crise. Il arrivait parfois que ma mère ou moi nous dépêchions d'urgence à la pharmacie pour aller en chercher car brusquement, son état l'engageait à en mettre davantage au mépris de toute recommandation médicale et il avait tout utilisé d'un coup.


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  • Je me suis appliquée, sans vraie conviction, à relater, dans ses grands traits, l'histoire d'un groupe familial, en essayant de ne pas broder sur ce que j'en savais, c'est à dire fort peu de chose. Des faits qui m'avaient été relatés pendant mon enfance et dont on ne m'avait plus jamais reparlé ensuite.

    Si je m'y suis essayée, c'est que petite fille, cette sorte d'épopée en réduction, me fascinait tout autant qu'une légende même si les chemins pris par les uns et les autres étaient tout à fait communs, l'effet de raccourci leur donnait une dimension mythique.
    Je n'en avais obtenu que peu de détails comme si chacun voulait oublier.

    Comme si le passé pouvait former un écran qui empêche de se tourner vers l'avenir. Ce qui est un sentiment qui longtemps, m'a animée et dont je m'éloigne maintenant en prenant de l'âge.
    Car, après réflexion, une fois la bande enregistrée en partie, il faut peut-être récapituler les périodes antérieures pour pouvoir supprimer et aller de l'avant.


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  • Le neuvième enfant fut de nouveau une fille que l'on disait trop belle et trop intelligente pour être honnête.



    Un an plus tard naissait un garçon qui lui ressemblait, si bien qu'on les croyait jumeaux. Ils ne se quittaient jamais et avaient de ces bizarreries d'esprit que l'on voit aux personnes qui s'enferment en un monde connu d'eux seuls. J'ai pensé à eux en lisant les Enfants terribles de Cocteau. Tous deux étaient friands d'art, de musique, de danse et de chansons, de mondanités excentriques aussi. Ils filèrent d'Alger pour Paris à 19 et 18 ans avec la complicité d'Anna qui avait dix ans de plus et leur offrit suffisamment d'argent pour se loger et se nourrir pendant quelques mois, le temps de chercher fortune. Effectivement, ils se débrouillèrent...  Tous les deux charmants, ils se firent entretenir avec quelque élégance paraît-il, si j'en crois les témoins que furent parfois Anna qui allait régulièrement les visiter, ma Grand-mère qui passa quelques années avec eux, et ma mère qui également habita leur appartement, plus d'un an. Remarquons que le père venait de mourir, que leur mère ne sut rien de ce qu'ils faisaient et que les autres éléments de la fratrie qui tous étaient passés les visiter à un moment ou un autre, les critiquaient assez durement, particulièrement, les deux belges que cette vie décadente horrifiait. Au milieu de sa vie, alors qu'elle s'était assagie, ma grand-tante eut des visions mystiques et fut internée à st Anne où elle mourut très âgée. Lorsqu'il comprit que l'état de folie de sa sœur était irrémédiable, le frère, désespéré tenta de se suicider puis choisit tout bonnement de devenir barman car outre l'amour, il ne savait, disait-il, que servir les coktails et le champagne. Il mourut à plus de soixante-dix ans, peu après être rentré du bistro où il travaillait encore.

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